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MA MAISON

Tu fus caverne décorée de mains, cabane aux branches assemblées, forte comme un château, raffinée comme un palais, petite ou grande, coquette ou gracieuse, soignée ou négligée.

Esseulée dans la forêt, tu te réconfortas en village pour te protéger. Tu devins ville et aujourd’hui mégapole. Une main invisible eue l’idée de t’empiler pour monter presque jusqu’au ciel, en des tours que même Phaleg n’aurait osé imaginer.

On te baptisa cabane, hutte, maison, appartement, duplex, triplex…tu fus de paille, de bois, de terre, de brique et de pierre mais tu ne nous laissas jamais de marbre. Tu fus temple d’un roi dit très sage.  On te mit sur roues pour être plus mobile. On te fit démontable, on te veut adaptable. On te loue, ou t’achète. Tu es même devenue objet de spéculation.

 

Pourtant on t’adopte toujours. Tu es l’investissement d’une famille pour la vie. Tu te transmets. Tu es le champ de l’onirisme en dehors de toute rationalité. Tu es le théâtre de nos mémoires. Tu es corps et âme. 

Discrète, tu connais toutes nos joies et peines sans jamais en souffler mots.

Tu es toujours là, tellement là, que je ne te remarque même plus et parfois je te néglige. Pourtant sans toi je suis sans toit. Je suis en toi pour que peut-être, je puisse me retrouver en soi. 

 

Pendant longtemps tous les jours, sans y prêter attention, je te quittais. Tu me fêtais lorsque je rentrais, m’offrant ta chaleur, un repas, une boisson ou un bon lit… ma famille, des amis en ton sein réunis.


Mardi 17 mars, intriguée tu m’as vu arriver, à l’improviste, cassant tes habitudes parfois de solitude apaisée.

 

Petite ou grande, je suis maintenant confiné en toi en une promesse qui ne peut être d’éternité. Tu m’accueilles avec ta bienveillance que j’avais oubliée. Je sais, avec le temps, tu vas m’agacer, m’étouffant de ton étreinte maternelle pesante, telle une matrone qui en fait toujours trop. 

Je vais te trouver trop petite, mal faite, trop fermée ou trop ouverte, trop…ou pas assez…espace subi, je vais, ingrat, te traiter de cage, voire injure suprême de prison ! Ta seule réponse sera ta présence fidèle malgré toutes mes infidélités et les blessures que j’ai pu t’infliger.

Peu importe leur taille, tes bras sont toujours grands ouverts pour m’accueillir, protecteurs de ma part la plus intime que tu ne trahis jamais. Avec cette crise un slogan s’est fait jour à ta plus grande gloire : 

« Sauvez des vies restez chez vous ». C’est si simple, peut-être un peu trop ! mais quelle belle invitation à aimer son prochain.

 

Ma maison, mon logis, mon cocon, alors que nous allons devoir cohabiter dans un temps incertain, trop seul ou trop nombreux, bien souvent agacés par trop de proximité, je sais que je vais être injuste avec toi mais sache que je suis malgré tout heureux de t’avoir rencontrée.

 

Je pense à ceux qui n’ont pas la chance de te connaître, errant en des lieux improbables. 

Je pense à ceux que tu accueilles malades, fatigués, 

Je pense à ceux qui sont seuls et sans espoir…

Je pense à ceux qui se dévouent pour sauver des vies…

 

Bien souvent tu accueilles le bonheur du partage, mais aussi de pudiques souffrances cachées, des personnes isolées … Il nous appartient, parant au plus pressé, avec nos moyens de communications fussent-ils virtuels, de ne pas te laisser transformer en tombeau de leur vie sociale si vite abimée.  Pensons à nos familles, nos amis. Il est temps de resserrer tant de liens si souvent distendus.

 

Mais surtout préparons-nous, en ton sein, préparons-nous, lorsque le moment sera venu de te quitter à nouveau, de rebâtir les âmes de nos énergies affaiblies. Car la sortie de crise arrivera forcément ; c’est alors que nous devrons être présents, actifs, véritables êtres opératifs en humanité.  

Cette épreuve universelle que nous vivons collectivement est faite pour être surmontée. Le chaos n’est pas un état stable, il doit être dépassé. Mort, Épreuves, Renaissance ce cycle est celui de la vie…à nous de porter son occurrence en un tel moment d’exception. Nous allons devoir nous poser les vraies questions sur l’état de notre civilisation, ses valeurs dans une économie mondialisée dont nous sommes tous co-responsables.

 

Avons-nous vraiment besoin de « tout ça ? »

 

Cette épreuve (ce tourment) est sans doute le fruit de notre éloignement collectif d’un bien naturel que nous négligeons, emportés par une vague d’empilement du toujours plus, plus vite. Homo sapiens se voit souvent plus beau qu’il « naît » !

Cette épreuve laissera des cicatrices matérielles et psychologiques dont nous n’avons même pas encore l’idée. L’homme est capable du meilleur comme du pire. Gardant l’initiative, travaillant en l’espérance, il nous appartient de transformer ces cicatrices en empreinte de vie.

 

Notre alliance avec elle nous y engage.  

 

Ma très chère maison, tu vas peut-être redevenir en moi la caverne de nos mythes rédempteurs. Mais je sais maintenant que sous ton abri tutélaire, dans le temps à venir lent et incertain, je vais briser les chaines de mes espérances pour que tu deviennes « ma maison d’Adam au paradis ».

 

« Topographie de mon être intime » (G.Bachelard)tu deviendras ainsi autant mon souvenir que ma promesse.

 

François Guibert Architecte